- PERSONNALITÉ MORALE
- PERSONNALITÉ MORALEÊtre doté de la personnalité signifie, dans le langage juridique, être apte à posséder des droits et à encourir des obligations. La personne, dans le sens qu’attribuent à ce terme les juristes, c’est l’être qui peut être sujet de droit.Les personnes sont, avant tout, les êtres humains, que l’on appelle personnes physiques . Mais, à côté des individus, la plupart des sociétés, sinon toutes, reconnaissent l’aptitude à être sujets de droit à d’autres «personnes», qui peuvent être soit une entité administrative (État, communes, établissements publics), soit un groupement (associations, sociétés), soit une masse de biens dotés d’une certaine affectation (fondations). Ces autres personnes sont appelées, par opposition aux personnes physiques, personnes morales .Reconnaître la personnalité à ces entités, groupements ou masse de biens présente un double intérêt. On permet en premier lieu, par là, des aménagements ou prévisions qui dépassent la durée de la vie humaine; on isole d’autre part le patrimoine des personnes morales et on le met ainsi à l’abri des poursuites que pourraient exercer les créanciers de telle ou telle personne physique.Une technique juridiqueUne querelle a, au début du XXe siècle, divisé les juristes: les uns affirmaient la réalité des personnes morales; d’autres voyaient dans la personnalité morale une simple fiction , qu’il appartenait aux dirigeants d’une société d’admettre ou de ne pas admettre. Cette querelle est aujourd’hui dépassée. Certains groupements sont dans la nature même des choses et leur existence, leurs intérêts doivent être pris en considération; mais rien n’impose pour autant de les reconnaître en tant que personnes morales et, en fait, certains d’entre eux – la famille par exemple – ne sont pas reconnus comme tels en droit français. La personnalité morale n’est rien de plus qu’une technique juridique. Ce qui le montre bien est que, en différentes circonstances, on peut s’en passer en recourant à d’autres techniques. Il en est ainsi si l’on envisage, par exemple en France, la communauté qui existe entre époux. La chose est plus manifeste encore si l’on considère le droit anglais: ce droit a développé une autre technique, inconnue du droit français, le trust , et nombre d’institutions qui en France recevraient le statut de personnes morales (Églises dissidentes, Stock Exchange, Lloyd’s) ne sont pas dotées de la personnalité en Angleterre.Une large attributionPendant longtemps, la personnalité morale a été regardée comme un privilège, que le souverain ne concédait qu’à bon escient et avec réserve; on était peu enclin à constituer des «biens de mainmorte» qui, entre les mains d’une personne morale, cesseraient en fait d’être dans le commerce. Le Code civil français, en 1804 encore, a envisagé la personnalité morale avec défaveur, car elle évoquait, dans l’esprit de ses auteurs, les corporations de l’Ancien Régime qui venaient d’être dissoutes.Depuis lors cependant, le développement de l’industrie et du commerce a nécessité la création d’entreprises qui, par leur importance et leur durée, ne pouvaient être menées à bien par de simples personnes physiques. La philosophie hostile aux associations a été abandonnée. La personnalité morale a été reconnue de plus en plus facilement d’abord aux sociétés (qui ont un but lucratif), plus récemment aux associations (qui ne sont pas constituées pour réaliser des profits).Toutes les sociétés, civiles ou commerciales, sont aujourd’hui dotées en France de la personnalité morale, à l’exception des seules «associations en participation» qui sont des sociétés clandestines. Quant aux associations, il ne tient qu’à elles de devenir personnes morales; depuis 1901, une simple déclaration à la préfecture est suffisante à cet effet; un régime particulier est prévu par la loi pour différents types d’associations, tels que syndicats professionnels (régime de faveur) ou congrégations religieuses (régime plus strict). Un libéralisme analogue règne dans les autres pays; il est très facile pour les groupements d’y acquérir la personnalité morale.Une difficulté surgit lorsque l’on entend affecter des biens à une certaine destination; l’œuvre en question, appelée «fondation», peut-elle devenir personne morale, ou faut-il à cet effet constituer un groupement de personnes, chargé de gérer la fondation? En certains pays, la loi reconnaît, sous certaines conditions, la personnalité morale aux fondations; en France, la question est diversement résolue par le droit civil d’une part, par le droit administratif d’autre part; le premier ne voit de personnes morales que dans les groupements de personnes, tandis que le second admet qu’une œuvre puisse être tenue pour personne morale.Sur le plan du droit administratif, l’État, les départements, les communes sont dotés de la personnalité morale, et il existe également un grand nombre d’«établissements publics» dotés de la personnalité morale: établissements de type classique (comme les chambres de commerce, les universités) ou établissements publics à caractère industriel ou commercial (comme la S.N.C.F., la Régie Renault). La question se pose constamment de savoir si un service public doit être élevé au rang de personne morale administrative ou s’il n’est pas préférable de le faire fonctionner dans un cadre juridique plus large: doit-on donner la personnalité morale à chaque hôpital, à chaque unité d’enseignement et de recherche, ou suffit-il et n’est-il pas préférable de la donner seulement à l’Assistance publique, aux universités, qui pourront dans de meilleures conditions assurer la coordination entre les divers services hospitaliers ou universitaires? La réponse à cette question varie, en France comme à l’étranger, avec des alternatives de concentration et de déconcentration de l’administration publique.Statut des personnes moralesLes intérêts principaux de la personnalité morale consistent, d’une part, dans le fait que la personne morale va avoir un patrimoine propre, d’autre part dans celui qu’elle va pouvoir agir en son nom propre en justice. Les biens de la société «personne morale» ne pourront être saisis par les créanciers personnels des associés et, à l’inverse – au moins dans certains types de sociétés –, les biens personnels des associés ne répondront pas des dettes de la société; cette double règle a permis la constitution de grandes entreprises affranchies des vicissitudes de leurs bailleurs de fonds et elle a permis aussi aux associés de limiter à leur apport leur engagement dans les affaires de la société. La personne morale peut d’un autre côté agir pour la protection des intérêts qu’elle entend défendre: un syndicat professionnel ainsi peut ester en justice pour défendre les intérêts de la profession. Grâce à la personnalité morale, de telles actions sont facilitées; il n’est plus nécessaire de faire intervenir un nombre considérable de personnes, de qui le caractère représentatif pourrait être contesté.En ce qui concerne leur capacité, les personnes morales peuvent avoir des statuts différents. Les personnes morales du droit administratif, les sociétés commerciales, les associations sont soumises à des règles diverses et, parmi ces grandes catégories, des distinctions peuvent être établies. Tandis que l’État jouit d’une capacité générale, les établissements publics, par intervention du principe de spécialité, n’ont de capacité que pour les actes entrant dans la sphère de leurs attributions. De même en Angleterre les groupements de droit public (corporations ) et même les sociétés commerciales ne peuvent agir ultra vires , au-delà de ce que prévoient leur charte ou leurs statuts. En France, parmi les associations sans but lucratif, certains «établissements reconnus d’utilité publique» jouissent d’une capacité plus large que les associations ordinaires.La capacité des personnes morales peut être affectée du fait des dispositions qui règlent les pouvoirs de leurs divers organes ou du fait de celles qui exigent, pour l’accomplissement de certains actes, des formalités ou autorisations particulières. En France, de nombreux actes accomplis par les organes des personnes morales administratives doivent être approuvés par des «autorités de tutelle», avant que ces personnes ne soient juridiquement liées. La reconnaissance de la personnalité morale ne signifie pas l’abandon de tout contrôle; celui-ci peut aller parfois jusqu’à supprimer la personne morale. Enfin, le Code pénal de 1992 a instauré une responsabilité des personnes morales privées et publiques (État excepté) en matières délictuelle et criminelle.
Encyclopédie Universelle. 2012.